Les hommes deviendront-ils bientôt des femmes comme les autres ?

Par Anne Geig

Alors que les interactions entre clients et collaborateurs de l’entreprise sont le cœur battant de l’expérience client, se pose la question de la place des femmes (les collaboratrices), du rôle qu’elles jouent, ou qui leur est assigné, dans ces relations.

Un constat : il y a encore une répartition très sexuée des métiers. 17 % des emplois, seraient mixtes, c’est-à-dire comportant entre 40 % et 60 % des deux sexes (1).

Les femmes sont particulièrement présentes dans les métiers d’accueil, du soin, du social, de l’aide à la personne… La société fonctionne encore sur des mécanismes ancestraux par lesquels on assigne aux femmes des aptitudes et des dispositions liées à la gentillesse, à la disponibilité, à l’attention à l’autre.

Les nombreuses études que nous avons menées chez KPAM, sur les collaborateurs au contact des clients (sur la base d’enquêtes et d’analyses de verbatim) nous montrent que les femmes ont plus de difficultés dans les métiers considérés comme masculins.

Elles y sont plus sujettes que les hommes aux incivilités. Elles éprouvent plus de souffrance au travail, elles ont plus de difficultés à tenir les fonctions d’autorité, de sécurité et à résister à l’indiscipline des clients (les femmes contrôleurs, ou conducteurs de bus par exemple). Elles ont aussi plus de difficultés à asseoir leur légitimité dans certains secteurs d’activité (banque, concessions ou centres automobiles…). Voici à ce propos un témoignage éloquent issu de l’une de nos études dans le secteur bancaire :

«J’ai expliqué à un client pourquoi il avait eu une tarification de 5 euros pour le mini forfait d’agios, mais n’étant qu’une femme, ce que je racontais était faux (…) quand les clients sont très énervés, ils se déchargent sur l’agent en place et « s‘aplatissent » devant un homme ou un responsable. »

verbatim d’une conseillère bancaire

En outre, dans les métiers considérés comme plus féminins, les femmes activent les ‘qualités’ jugées naturelles qu’on leur prête (sourire, sollicitude…), sans qu’elles soient pour autant reconnues comme des compétences ou des qualifications, même si c’est le cas.

Là, elles sont légitimes, à leur place. De façon implicite, elles y assument une charge émotionnelle.

C’est la sociologue Arlie R. Hochschild, pionnière de la sociologie des émotions, qui a mis en lumière le fait que les femmes héritent dans la société du « travail émotionnel », à la fois dans la sphère privée et dans la sphère sociale et professionnelle.

Leur rôle consiste à prendre en charge le « bien-être émotionnel » des membres de leur famille comme des personnes qu’elles côtoient professionnellement (2), collègues ou clients.

Dans les métiers en contact avec les clients, on peut parler de postures « émotionnelles » : sourires, écoute attentive, empathie, gestes de réconfort dans les métiers du soin… Dans ces fonctions, on observe le passage d’un usage privé des émotions à un usage professionnel.

Et cela est plus vrai que jamais. Dans le domaine de la relation client, le besoin de doper les interactions humaines en émotions devient un enjeu, face à la digitalisation des expériences, au déploiement du selfcare.

Le ‘travail émotionnel’, culturellement assigné aux femmes, devient donc stratégique et les exigences vont croissantes dans ce domaine.

Les clients, qui ont du discernement, y sont particulièrement sensibles et nous voyons émerger comme une lame de fond la valeur Authenticité. Des émotions, oui, des sourires et des paroles bienveillantes, oui, mais pourvu qu’ils soient sincères.

Les clients / usagers repèrent très vite les dissonances. Ils détectent les masques et les scripts déclamés de façon automatique, la fausse sollicitude. Ils attendent plus. Ils veulent des moments sincères.

Nous l’avons mesuré dans une grande diversité de métiers au contact des clients, chez les vendeuses ou vendeurs, les hôtesses de l’air ou stewards, les conseillers de services clients, les personnels soignants, les technicien.ne.s… Partout, ces moments de connexion sincère deviennent le graal de l’expérience client.

Cette exigence d’authenticité a un coût. Être authentique demande de puiser en soi, de mobiliser une qualité de disponibilité et d’attention. Les femmes le faisaient de façon intériorisée, mais cela devient une exigence assumée, évaluée de façon implacable par les clients.

Les femmes sont donc particulièrement touchées par ces nouvelles attentes des clients et de l’entreprise, puisque déjà attendues dans ce rôle. C’est aux entreprises de créer les conditions pour que cette exigence d’authenticité ne soit pas une nouvelle charge coûteuse pour les collaborateur.rice.s.

Même dans les relations au sein de l’entreprise, la mobilisation du « travail émotionnel » s’est propagée. Les entreprises cherchent de plus en plus à recruter des personnalités, des aptitudes plutôt que des compétences seules. Certaines recrutent même sans CV.

Cette nouvelle ère annonce l’élargissement à l’ensemble des employés, du modèle jusqu’alors réservé aux femmes.

Ces évolutions feront-elles bientôt de tous les hommes, des femmes comme les autres ?


Anne Geig – Le Manifeste – Académie du Service – La place des femmes dans les organisations

(1) selon le Centre d’Information et Documentation Jeunesse / 6ème édition du guide « Ces secteurs qui recrutent » – 2018

(2) article de Camille Froidevaux-Metterie – Philosophe « Le poids des émotions, la charge des femmes » – 2020

Cet article est paru dans l’édition 2021 de l’ouvrage « Symétrie des attentions, le Manifeste » de l’Académie du Service, avec pour thème « la place des femmes dans les organisations ».

Anne Geig est co-fondatrice de KPAM.

KPAM est un cabinet d’étude et de conseil spécialisé dans l’expérience client et l’expérience collaborateur. KPAM a mis au point des solutions innovantes de modélisation des Parcours Client et des Parcours Collaborateurs ainsi qu’une solution de mise en miroir des deux visions, Client et Collaborateur.

Ses outils, résolument tournés vers les plans d’action, ont été primés à de nombreuses reprises.

KPAM compte parmi ses clients MAIF, Nespresso, Engie, Dyson, Air France, la SNCF, la RATP, Orange, Leroy Merlin, Renault, BNP, La Poste, FNAC Darty.

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